A lire les media
internationaux en ce mois de février 2014, on pourrait croire que le Venezuela
est –de nouveau- à feu et à sang. Le coupable désigné par les grandes
entreprises de communication est toujours le même depuis maintenant 15 ans: le
gouvernement bolivarien massacrerait –de nouveau- son peuple comme s´il
s´agissait du passe temps favori des élites politiques révolutionnaires depuis
l´accession d´Hugo Chavez à la présidence de la République. Oubliés
les onze chavistes assassinés au lendemain de la victoire électorale de Nicolas
Maduro en avril 2013, passée sous silence la large victoire du camps bolivarien
aux municipales de décembre 2013, gommé le soutien populaire dont bénéficie la Révolution , les
vénézuéliens seraient désormais face à un « régime » qu´ils réprouvent et qui
n´hésite pas á faire feu contre ses compatriotes. Un retour sur les
derniers évènements qui ont secoué le Venezuela est donc nécessaire pour
prendre la mesure de ce qui se déroule en ce moment au pays de Bolivar et de
Chavez. Retour d´autant plus nécessaire pour capter, après la Libye , la Syrie ou les derniers
évènements ukrainiens á quel point l´Empire fait preuve d´un cynisme
sanguinaire pour éliminer les gouvernements qui ne s´alignent pas sur ses
intérêts.
Guerre interne dans l´opposition
L´opposition vénézuélienne n´est pas un bloc monolithique. Même si tous
les partis partagent un programme commun (1) , les stratégies de prises de
pouvoir et surtout les ambitions personnelles ne manquent jamais de raviver les
tensions au sein de la contrerévolution, Or le leadership qu´Henrique Capriles
s´était construit depuis sa victoire aux primaires de la plateforme unitaire de
l´opposition (Mesa de Unidad Démocratica -MUD)
en février 2012 s´est quelque peu érodé au fil des quatre défaites électorales
(2) . Lors des élections municipales de décembre 2013, le parti de Leopoldo
Lopez, Voluntad Popular a même remporté plus de mairies
que Primero Justicia,
le parti de Capriles.
Le questionnement interne suite aux défaites dans les urnes a ravivé les
vieux démons d´une opposition prête à considérer légitime tous les chemins
possibles pour conquérir le pouvoir.
Profitant d´un mécontentement compréhensible d´une partie de la
population face à une guerre économique qui affecte quotidiennement les
vénézuéliens (3) , le secteur le plus extrême de l´opposition a décidé de
passer à l´attaque.
Dés les premiers jours de l´année 2014, Leopoldo Lopez, Maria Corina
Machado ou Antonio Ledezma appelaient au "soulèvement" comme moyen
"démocratique" pour chasser le gouvernement (4) . Les vrais
démocrates apprécieront l´oxymore. Rappelons que l´unique moyen démocratique
pour changer de gouvernement est la convocation d´un referendum révocatoire à
mi-mandat, c´est à dire à partir d´avril 2016.
Leopoldo Lopez ne s´arrêtera pas là. Au cours d´un meeting, le 2 février
2014, il lance à ses partisans : "les problèmes dont souffre le peuple ont
un coupable. Ce coupable est le pouvoir national (…) nous ne pouvons plus dire
que le problème c´est seulement Nicolas Maduro. Le problème ce sont tous les
pouvoirs publics nationaux"(5) . Coup d´Etat,
vous avez dit coup d´Etat ?
Au cours du même meeting, Maria Corina Machado affirmera que
"la seule réponse possible, c´est la rébellion (…). Certains disent qu´il
faut attendre les élections dans je-ne-sais-trop combien d´années (…) Le Venezuela ne
peut plus attendre" (6) . Le message de confrontation est lancé au
gouvernement mais aussi à la MUD
et à Capriles. La tentative de mainmise sur l´opposition par les secteurs les
plus anti-démocratiques de l´antichavisme est confirmé par Leopoldo Lopez
lorsqu´il convoque une manifestation pour le 12 février 2014 : "Notre
lutte passe par la rue (…) je suis sûr que ce 12 février, nous verrons Henrique
Capriles dans la rue. Je lance un appel [à
tous les dirigeants de l´opposition] mais surtout à Henrique, qui a une très
grande responsabilité, pour qu´il nous rejoigne dans cette clameur de
changement" (7) . Les urnes ou le putsch. Les leaders de l´opposition ont les
cartes en mains…
Ce qui fut annoncé arriva
Le 12 février la
manifestation convoquée se dirigeât vers le siège du pouvoir judiciaire (Ministerio
Publico) situé dans le centre populaire de la capitale. La plupart des dirigeants de l´opposition, dont Capriles Radonski, était
aux abonnés absents. Le faible cortège était surtout composé d´étudiants des
classes moyennes supérieures provenant des universités privées. Sur place,
Leopoldo Lopez et Maria Corina Machado haranguaient la foule dans des termes
similaires à ceux proférés quelques jours plus tôt, avant d´abandonner la
manifestation sans prendre le soin de lancer le mot d´ordre de la dispersion de
la manifestation. Alors que la majorité des étudiants quittait les lieux sans
heurt, des groupes de choc prenaient le relais. Les pancartes pacifistes
laissaient place aux jets de pierre et autres cocktails Molotov. Et tout
bascula.
Au milieu des affrontements, des coups de feu furent tirés. Juan
"Juancho" Montoya, un militant chaviste présent sur les lieux et
Basil Da Costa un étudiant d´opposition mourraient tous deux assassinés d´une
balle dans la tête. La police nationale réussit à repousser les fauteurs
de trouble qui se replièrent à Chacao, arrondissement huppé de Caracas, dont le
maire, Ramon Muchacho est membre du parti Primero
Justicia. Quelques heures plus tard et alors que les affrontements
s´étaient déplacés dans cette zone de la ville, Roberto Redman, un militant de
l´opposition, qui avait porté le cadavre du jeune Basil, était à son tour
assassiné. La machine médiatique internationale s´emballa. Le gouvernement fut
accusé de sanglantes répressions alors que les forces de maintien de l´ordre
n´utilisent aucune arme létale pour faire face aux groupuscules armés de
l´opposition (8) .
Les entreprises de
communication privées dénoncèrent la censure gouvernementale après qu´une
chaine câblée colombienne, NTN24, fut retirée de la programmation par les
opérateurs de câble privés pour avoir enfreint la loi vénézuélienne de ne pas
retransmettre en direct les images des violences de rue. Il ne s´agissait donc
pas d´une censure opérée par le pouvoir, les media audiovisuels internationaux
et nationaux ayant largement couvert la partie pacifique de la manifestation.
En revanche, aucun media international ne s´est attardé à dénoncer les attaques
à l´arme à feu contre le siège de la télévision publique VTV. Une employée de
la chaine ayant même reçu une balle dans les côtes. Liberté d´expression à deux
vitesses ?
Au soir du 12 février,
on dénombrait en plus des trois morts, de nombreux blessés y compris chez les
forces de l´ordre et les travailleurs du Metro de Caracas, pris d´assaut par
les groupes de choc de l´opposition, 6 voitures de police incendiées, des
sièges d´institutions publiques détruits, sans compter les nombreux dommages
collatéraux dont ont souffert les habitants de Caracas.
Des critiques se
firent entendre au sein même de l´opposition. Une journaliste du journal
antichaviste El Universal,
dénonça l´irresponsabilité et le manque de leadership de Leopoldo Lopez
qui abandonna les étudiants lorsque les affrontements eurent commencé (9) . Le
maire de Chacao publia un tweet cinglant : "nous reconnaissons le manque
de leadership de l´opposition. Seul l´anarchie règne. C´est ce que nous voulons
?" (10) . Dans un premier temps, Capriles Radonski se fit écho de "la
mainmise de groupes violents sur une manifestation pacifique" (11) .
L´enquête démontrera,
comme l´a indiqué le Ministre de l´intérieur et de la justice, Miguel Rodriguez
Torres, que les deux personnes assassinées prés du Ministerio Publico le furent avec la même arme à feu,
renforçant ainsi la thèse de l´infiltration de mercenaires paramilitaires
d´opposition dans l´objectif de créer le chaos, et d´enflammer les tensions
entre vénézuéliens. Un scénario similaire à celui vécu lors du coup d´Etat du
11 avril 2002 (12) . Les plus vulnérables à cette stratégie sont
malheureusement les jeunes étudiants qui croient pouvoir renverser un
gouvernement appuyé par la majorité du peuple et par l´armée.
Comme dans n´importe
quel pays démocratique, la justice recherche désormais le principal responsable
de ces violences, Leopoldo Lopez, pour le mettre en examen. Nous n´osons imaginer ce qu´il se serait passé si de tels évènements
avaient eu lieu dans n´importe quel pays occidental. Qu´aurait fait le pouvoir
français si la manifestation Jour de Colère (qui comme la manifestation de
Leopoldo Lopez n´avait de mot d´ordre commun que la chute d´un gouvernement
élu) s´était soldé par trois assassinats et de nombreux blessés chez les forces
de l´ordre. Il y a fort à parier que ses organisateurs seraient aujourd´hui
sous les verrous sans que cela n´émeuve personne ni qu´aucun parti politique,
pas même le Front National, n´en vienne à les défendre.
Mais s´il s´agit du
Venezuela, les media y décèlent une persécution politique. Capriles Radonski,
quand à lui s´est solidarisé avec Leopoldo Lopez, tout en insistant sur les
différentes stratégies qui l´opposent á son ancien comparse (13) .
L´ancien candidat à la présidentielle a même appelé à une manifestation contre
la violence et le paramilitarisme (sic), espérant ainsi récupérer à son compte
les manifestants de ces derniers jours. Comble de l´ironie pour celui qui
devrait assumer la responsabilité intellectuelle de l´assassinat de 11
militants chavistes au lendemain de sa défaite électorale aux élections
présidentielles d´avril 2013 (14) .
La main de l´Empire américain n´est pas une chimère
Alors que Nicolas
Maduro a reçu des messages de solidarité et de condamnation des violences de
l´opposition de la part de nombreux gouvernements et partis politiques de par
le monde et de l´Union des Nations Sud-américaines (Unasur), le gouvernement
des Etats-Unis prenait un ton menaçant. Lors d´une allocution télévisuelle, le
président Maduro dénonçait que le sous-secrétaire d´Etat adjoint pour
l’Amérique latine, Alex Lee, avait émis une série d´exigences (libération des
responsables des violences, arrêt des poursuites contre Leopoldo Lopez,
dialogue immédiat avec l´opposition) sous peine de "générer des
conséquences négatives au niveau international" (15) .
Cette menace à peine
voilée est en fait le résultat de la participation active des Etats Unis dans
les récents évènements qui secouent le Venezuela. Soulignons une fois, pour les
éternels sceptiques, que la déstabilisation du gouvernement bolivarien n´aura
de cesse que lorsque les Etats-Unis reprendront le contrôle du maniement de
l´industrie pétrolière comme dans le passé.
En réponse, le
président Maduro a décidé d´expulser du pays trois citoyens étatsuniens pour
leur récente participation active dans la formation et le financement
d´étudiants aux techniques de coup d´Etat soft (16) .
Dans la nébuleuse
d´informations sur la situation actuelle au Venezuela, de grossières
manipulations médiatiques tentent de légitimer le discours de l´opposition qui
dénonce la torture et la répression sanglante du gouvernement. Cette
cyber-attaque est surtout un moyen de décrédibiliser le Venezuela au
niveau international et de chauffer les esprits des partisans de l´opposition
afin de générer une situation d´ingouvernabilité à l´instar des évènements
actuels en Ukraine.
Rappelons que le
Venezuela est le cinquième pays au monde qui se sert le plus de Twitter (17) .
Ce réseau social, abondamment utilisé dans les autoproclamées
"Révolutions" arabes, est devenu une arme de premier choix dans la
déstabilisation du gouvernement bolivarien. Ainsi, des photos de répressions et
de tortures, reflétant des réalités étrangères, sont envoyées massivement aux
jeunes vénézuéliens leur faisant croire que les scènes se déroulent dans leur
pays (18) . De retweet en retweet en passant par de nombreux hastags, un nombre
non négligeable de jeunes opposants à la Révolution est ainsi manipulé.
Sur la photo suivante
nous pouvons voir comment une manifestation à Sao Paulo devient une
manifestation à Caracas
Sur la photo ci
dessous une image aérienne d´un pèlerinage religieux se transforme en une
manifestation massive de l´opposition qui n´a pourtant jamais eu lieu
Les étudiants chiliens
doivent sauter au plafond en voyant leurs camarades utilisés par l´extrême
droite vénézuélienne
Un cas de torture dans
le royaume d´Espagne devient un argument pour la droite vénézuélienne
Qui se doutait que les
policiers égyptiens réprimaient des citoyens vénézuéliens ?
Rien n´arrête le
cynisme de l´opposition. Les morts du conflit syrien sont transférés au
Venezuela dans la ville de Maracay
Même le pauvre
Loukanikos, icône animale de la révolte grecque, n´est pas épargné. Que fait la SPA ?
Le camp bolivarien doit donc une fois de plus faire face aux tentatives de déstabilisation de la contrerévolution au moment précis où le gouvernement prend des mesures radicales pour lutter contre la guerre économique et contre l´insécurité.
Même si le Peuple, l´armée et la police défendent les institutions démocratiques, la vigilance est de mise. Face à la désinformation des entreprises privées de communication, la solidarité internationale est plus que jamais de vigueur afin de déjouer la propagande médiatique contre
Notes:
(1) Voir Romain Migus, El programa de
(2) Élections présidentielles du 7 octobre 2012 et du 13 avril 2013, élections régionales du 16 décembre 2012, élections municipales du 8 décembre 2013 (91% des états régionaux et 75% des mairies gagnés par le chavisme).
(3) La guerre économique et les réponses gouvernementales ne sont pas le sujet de cet article. Mais il est indéniable que la spéculation contre le bolívar, les ruptures de stock organisées, et la contrebande de produits de première nécessité vers
(4) Voir “¡LaSalida es la calle! ¡#LaSalida es la calle!”, Youtube, 25/01/2014, http://www.youtube.com/watch?v=MZBiTc6Z4Os (traduction de l´auteur).
(5) Voir “Protestas en Venezuela, 2 de Feberero de 2014 #LaSalida“, Youtube, 03/02/2014, http://www.youtube.com/watch?v=hyh3AEf5JDA (traduction de l´auteur).
(6) Ibid.
(7) Voir “Leopoldo López El
(8) Pour être plus précis nous soulignons que les forces de police utilisent des bombes lacrymogènes et des cartouches de gros sel, et un usage très limité de la force si l´on compare avec la répression des manifestations dans les pays européens.
(9) Testimonio de una periodista de El Universal: "Leopoldo no tuvo bolas. Le agarró la mano a su esposa, se fue y dejó a los carajitos alborotados", Aporrea, 13/02/2014. http://www.aporrea.org/oposicion/n245131.html
(10) “Vandalismo en Chacao: Ramón Muchacho se pregunta ¿quién asume la responsabilidad?”, Noticias24, 12/02/2014
http://www.noticias24.com/venezuela/noticia/222431/vandalismo-en-chacao-ramon-muchacho-se-pregunta-quien-asume-la-responsabilidad/
(11) “Capriles condena violencia en marcha estudiantil, Prensa Primero Justicia, 12/02/2014,http://www.primerojusticia.org.ve/cms/index.php?option=com_flexicontent&view=item&cid=158:en-la-prensa&id=13853:capriles-condena-violencia-en-marcha-estudiantil&Itemid=500
(12) Voir “Fallecidos el
(13) “Capriles llama a movilizaciones contra la violencia y el paramilitarismo”, El Universal, 16/02/2014, http://www.eluniversal.com/nacional-y-politica/140216/capriles-llama-a-movilizacion-contra-la-violencia-y-el-paramilitarismo
(14) Voir Romain Migus, “Nuit de cristal au Venezuela”, Venezuela en Vivo, 17/04/2013, http://www.romainmigus.com/2013/06/nuit-de-cristal-au-venezuela.html
(15) “Venezuela rechaza declaraciones de secretario estadounidense John Kerry”, Telesur, 16/02/2014, http://www.telesurtv.net/articulos/2014/02/16/venezuela-rechaza-declaraciones-de-secretario-estadounidense-john-kerry-2982.html
(16) “Funcionarios norteamericanos tienen 48 horas para salir de Venezuela”, Noticias24, 16/02/2014, http://www.noticias24.com/venezuela/noticia/222622/elias-jaua-funcionarios-norteamericanos-tienen-48-horas-para-salir-de-venezuela/
(17) “Venezuela: quinto país del mundo que más usa el twitter”. Ciudad CCS, 29/05/11, http://www.ciudadccs.info/?p=176192
(18) Telesur a réalisé une compilation de ces montages médiatiques. Voir: https://www.facebook.com/media/set/?set=a.10151869482281179.1073741986.186321186178&type=1